samedi 14 août 2010

Tramways, TGV, TangerMed : La France et le Maroc voient grand. Trop grand?


Un « sommet très business », un « partenariat exemplaire », un « gros coup d'accélérateur » - la rencontre de haut niveau entre le Maroc et la France qui s'est tenue vendredi dernier à Paris a fait parler d'elle en termes élogieux. Mais cet élan trans-méditerranéen, axé notamment sur les grands projets de développement marocains, pourrait perdre son soiuffle au vu des performances financières du Royaume. A voir comment les partenaires tireront leurs épingles du jeu.
Les liens se tissent. source: gouvernement.fr
S'exprimant sur les relations entre le Maroc et la France, la ministre française de l'économie, Christine Lagarde, estimait vendredi, quand des délégations ministérielles et d'entrepreneurs des deux rives se sont rencontrés pour approfondir les liens, que « le ciel est bleu » entre les deux pays. C'est particulièrement vrai pour un sujet précis : les grands chantiers de développement du Maroc. Selon le quotidien Les Echos, « la France a assuré le Maroc de son soutien » à cette « politique de grands chantiers ». Non sans intérêts propres, car de nombreuses entreprises françaises sont impliquées dans ces projets, et, comme l'estime le quotidien, la France veut « garder sa première place » d'investisseur étranger.
La France place ses pions dans les grands chantiers
Onze accords d'une valeur totale de 146,8 millions d'euros ont ainsi été conclus, et, selon le communiqué final de la rencontre, « les deux Premiers Ministres ont noté avec satisfaction la qualité des projets franco-marocains pour la modernisation des infrastructures du Royaume ». Côté français, il y a de quoi être satisfait : Une société française, TRANSDEV, exploitera le tramway à Rabat-Salé, construit en partie par Alstom, qui construira aussi le tramway de Casablanca et le TGV Tanger-Casa. De plus, la société Bouygues est un des principaux partenaires dans la construction et l'aménagement du site TangerMed II.
Mais cette « satisfaction » pourrait se voir ombragée. Le jour même où a eu lieu la rencontre France-Maroc, le mensuel Economie Entreprises sortait son numéro de juillet, avec en couverture un sujet qui a un impact direct sur ce « ciel bleu » des relations entre l'hexagone et le Royaume : la crise de liquidité des banques marocaines, qui soulève la question cruciale de comment seront financés les grands projets de financement au Maroc.
Des chantiers trop grands, le TGV du luxe?
Sur ce fond, le palmarès de chantiers de grande taille au Maroc, prévus et en cours, paraît impressionnant, mais peut aussi en inquiéter plus d'un. TangerMed II, les tramways de Rabat et Casablanca, le TGV côtier, la construction d'autoroutes, de complexes touristiques, le plan solaire... Au total, des centaines de milliards de dirhams de financement doivent être levés, avec en tête 70 milliards pour le plan solaire méditerranéen, 30 milliards pour le projet Bouregreg, 26 milliards pour les chantiers d'autoroutes et 20 milliards pour le TGV Casablanca-Tanger.
TGV au Maroc – un luxe?
Les modèles de financement et d'attribution des chantiers sont relativement complexes, impliquant une variété d'acteurs publics et privés du Maroc et de l'international. Les données récoltées par Amine Chafai Alaoui d'Economie Entreprises pour le projet du TGV démontrent cette complexité, mais aussi les difficultés à rassembler les financements nécessaires. Les 20 milliards de dirhams prévus pour construire le TGV entre Casablanca et Tanger seraient ainsi partagés entre l'Etat (4,8 milliards de dirhams), le Fonds Hassan II (1 milliard), de dons français (1,9 milliards) et saoudien (1,6 milliards). Le restant, s'élevant à 10,7 milliards de dirhams, devra faire l'objet d'emprunts privés. Emprunts qui pourraient mettre à mal un secteur bancaire marocain en manque de liquidité.
Mais même si le secteur bancaire sera à même de répondre aux besoins de crédits, l'endettement à prévoir planera sur les budgets de l'Etat à venir. Comme le relève Economie Entreprises, les avis divergent sur l'utilité de quelques uns des grands chantiers du Maroc, notamment le projet de la ligne grande vitesse. Si ce projet peut faire entrer le Maroc « dans la cour des pays modernes », l'économiste Mohamed Berrada est cité estimant que « si on n'avait pas investi dans le TGV, ca n'aurait en aucun cas compromis le rythme de croissance. » « En cette période de crise, et argent aurait pu être mobilisé pour financer des projets créateurs d'emplois », ajoute-t-il.
Quelle politique économique adopter?
En général, c'est la politique économique du Royaume et sa réaction face aux enjeux nationaux et à la crise économique mondiale qui est en cause. Si dans les pays de l'Union Européenne, l'austérité budgétaire est devenu maître mot, ici, une politique keynésienne de dépenses publiques contre-cyclique est de mise. Une politique défendue par les économistes. « Il faut que le Maroc maintienne de train d'investissement car nous ne sommes pas encore une économie développée », estiment Driss Alaoui M'daghri et Driss Benali, (cités dans Economie Entreprises). Mais de nouveaux financements devront alors être trouvés. Ce qui s'annonce difficile, d'autant plus que les recettes de l'impôt du Royaume sont en nette baisse cette année, elles « décrochent », selon l'Economiste du 6 juillet. L'impôt sur les sociétés serait en baisse de 21% par rapport à l'année dernière, et l'impôt sur le revenu en baisse de 13%.
Si un jour, l'Etat marocains devait se trouver dans la difficulté à emprunter de l'argent, et peut-être même à servir sa dette, il est douteux que la France reste ce « partenaire exemplaire » dont il a été question. Car si les accords conclus vendredi dernier ont été en témoignent. S'il y a, certes, un verset d'aide au Maroc dans les différents accords, les subventions ne prennent qu'une part minime. Le gros des accords porte sur des prêts et crédits accordés pour le financement de projets où sont impliquées des entreprises françaises. La diplomatie commerciale française ouvre des marchés aux grandes entreprises de l'hexagone. La France aussi mène une politique d'aide à l'économie nationale (française), et le Maroc prouve être un terrain fertile pour ce faire.
Frederic Schmachtel
Source : Yabiladi.com