mardi 31 août 2010

Dossier Emergence: Le Maroc face aux défis de l'Energie et de l'Eau

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Dans le domaine de l’énergie, comme dans celui de l’eau, la priorité est à la diversification des sources d’approvisionnements et à une utilisation efficiente. Détails avec Amina Benkhadra, ministre de l’Energie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement.
Amina Benkhadra : « Avec cette multitude de chantiers ouverts, de projets en cours de réalisation, nous sommes effectivement considérés comme un pays émergent. »
Les Afriques : Peut-on dire aujourd’hui que le Maroc est un pays émergent ?
Amina Benkhadra : Depuis une décennie, nous voyons la mise en œuvre d’un développement économique et social sur tous les fronts et la conduite de réformes importantes dans beaucoup de secteurs. Il y a eu d’abord, avec l’avènement de Sa Majesté le roi Mohammed VI, un certain nombre de réformes sur le plan politique, avec la consolidation de l’Etat de droit, la promulgation du code de la famille, le lancement de l’Initiative nationale du développement humain (INDH). Il y a eu, parallèlement, un certain nombre de grandes réformes économiques avec des projets structurants et une dynamique impulsée par la vision royale et le développement des grandes infrastructures : les routes, les autoroutes, les ports et les aéroports. Le port de Tanger Med est aujourd’hui reconnu à l’échelle régionale et internationale. Il y a de grandes stratégies dans des secteurs clés, comme la Vision 2010 dans le tourisme et maintenant la Vision 2020 en cours d’élaboration. Il y a également le plan Emergence I, et maintenant Emergence II, pour le secteur industriel et les grands métiers du Maroc dans l’aéronautique, l’offshoring, le textile et autres. Dans l’agriculture, il y a le Plan Maroc Vert et, bien sûr, les grandes stratégies des secteurs de l’énergie et de l’eau, qui accompagnent toutes ces évolutions que connaît le Maroc. Le royaume a connu une croissance économique soutenue depuis plusieurs années, avec une moyenne autour de 5 et 6%. En 2009, nous étions à 4,9%. Pour 2010, nous prévoyons 5%. C’est dire que la croissance est là, le développement est en cours. Avec cette multitude de chantiers ouverts, de projets en cours de réalisation, nous sommes effectivement considérés comme un pays émergent, tiré par une croissance interne et par un développement interne.
 
LA : De grandes réformes sont en cours dans le domaine de l’énergie et de l’électricité. Quelles en sont les orientations générales ?
AB : Le Maroc a une forte dépendance énergétique de l’extérieur ; elle est de l’ordre de 95% pour les produits comme le charbon, le fuel, pétrole et autres. Pour répondre au besoin croissant de la demande de l’énergie (5% pour l’énergie primaire, 7,5% pour l’électricité) due à ces grands développements économiques et sociaux que nous connaissons, à la croissance démographique, à la généralisation de l’électricité dans le monde urbain et rural, nous devons sécuriser notre approvisionnement et notre disponibilité en énergie. Pour cela, le Maroc a mis en place une dynamique nouvelle, conformément aux orientations royales, avec pour objectif la sécurité d’approvisionnement du pays, à travers la diversification de nos sources et de nos ressources d’énergie. Avec, également, la disponibilité de l’énergie aux meilleurs coûts sur l’ensemble du territoire national. Avec, l’intégration régionale comme axe majeur et la prise en compte du développement durable. Ces grands objectifs sont traduits par des actions concrètes qui tournent autour de la diversification du bouquet énergétique et du bouquet électrique. Cette diversification passe obligatoirement par la montée en puissance des énergies renouvelables (éolien solaire), pour lesquelles le Maroc a un grand potentiel, et l’optimisation de l’efficacité énergétique érigées en priorité nationale.
 
LA : Où en êtes-vous avec le développement des énergies renouvelables ?
AB : En ce qui concerne les énergies renouvelables, Sa Majesté le Roi, que Dieu l’assiste, a lancé le projet solaire marocain de 2000 MW à l’horizon 2020 et le projet éolien marocain de 2000 MW à l’horizon 2020. Avec l’éolien, le solaire, mais également avec les capacités hydroélectriques disponibles, nous ambitionnons que les énergies renouvelables représenteront 42% des capacités électriques installées, à l’horizon 2020. Ces grands projets structurants et ambitieux sont conçus avec l’exigence d’une intégration industrielle pour attirer au Maroc l’ensemble des industries de la filière solaire et éolienne, avec la volonté de développer la formation des ressources humaines et la recherche de l’innovation. Parallèlement à ces grands projets, nous avons mené un certain nombre d’actions fondatrices sur le plan règlementaire et institutionnel. En janvier 2010, nous avons promulgué la loi sur les énergies renouvelables, qui, pour la première fois, donne au Maroc la possibilité de produire de l’électricité à partir des énergies renouvelables. Nous avons promulgué la loi de création de MASEN (Morrocan Agency for Solar Energy) qui sera le maître d’ouvrage de ce grand projet. Nous avons aussi la loi sur l’efficacité énergétique, adoptée en conseil de ministres, qui passera bientôt au Parlement. Nous avons également transformé la CDER (Centre pour le développement des énergies renouvelables) en Agence pour le développement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.
 
LA : Quid des réformes dans le domaine pétrolier pour limiter les émissions polluantes ?
AB : Le Maroc est un des premiers pays en Afrique et dans le monde arabe à avoir introduit le gasoil 50PPM et l’essence sans plomb, après d’importants investissements au niveau du raffinage. Nous sommes en train d’affiner la politique de stockage stratégique du Maroc et l’optimisation des sites de stockages de produits pétroliers sur l’ensemble du pays, avec les meilleures conditions de transport. Nous travaillons également sur le regroupement de l’ONE et de l’ONEP, car il y a de grandes synergies entre les domaines de l’électricité et la production de l’eau, notamment l’eau potable.
 
LA : Justement, quelles sont les raisons de ce regroupement ? Est-ce la recherche de l’effet de taille indispensable pour devenir un acteur majeur au niveau régional et international ?
AB : C’est d’abord pour répondre aux défis de ces deux secteurs de l’énergie et de l’eau, à moyen terme. Vous savez que le Maroc est dans une position géographique marquée par l’aridité et la rareté de l’eau. L’eau sera un défi majeur à l’horizon 2020 et 2030. Si nous n’y prenons pas garde, nous pouvons avoir des pénuries. Et donc, en parallèle avec la poursuite de la politique de la mobilisation des eaux conventionnelles à travers les barrages, nous devons développer des méthodes non conventionnelles, comme le dessalement de l’eau de mer, le transfert d’eau des bassins excédentaires vers les bassins déficitaires, ainsi que les projets de retraitement des eaux usées et leur utilisation après purification pour l’arrosage et l’irrigation. Donc, tous ces défis doivent être adossés à des synergies. Dans le regroupement de l’ONEP et de l’ONE, nous visons d’abord une meilleure organisation au niveau national, pour que cet office, qui va être responsable de la disponibilité de l’eau et de l’électricité, puisse avoir une organisation optimisée pour faire jouer toutes les synergies. En ce qui concerne la coopération avec l’Afrique, je voudrai vous rappeler que l’ONE intervient dans un certain nombre de pays amis dans les projets d’électrification rurale : Sierra Leone, Cap Vert, Kenya, Guinée, Sénégal, Guinée équatoriale, Tchad et Niger. L’ONEP intervient dans plusieurs pays, dont le Cameroun et la Mauritanie, pour la gestion et la production de l’eau. Ces interventions seront optimisées dans le cadre du nouvel office.
 
LA : Il y a 20 milliards de mètres cubes de gaz algérien qui transitent par le Maroc pour alimenter le marché européen. Combien le Maroc perçoit-il sous forme de redevance ? Y-a-t-il une volonté de promouvoir la consommation nationale de gaz ?
AB : D’abord, la capacité actuelle du gazoduc Maghreb-Europe est de 12,5 milliards de mètres cubes. En moyenne, c’est 10 milliards de mètres cubes qui transitent. Le Maroc en reçoit 7% sous forme de redevance, tirée sur la quantité qui transite, dépendant en général des besoins du marché espagnol et portugais. En 2009, avec la crise économique, il y a eu moins de quantités. Au début, nous avions touché les redevances en dollars. Mais, dès que la centrale de Tahadart a été mise en production en 2005, elle a été alimentée par une partie de la redevance en nature (450 millions de mètres cubes par an). Et depuis l’entrée en production de la centrale de Ain Beni Tahar, nous percevons la totalité de la redevance, qui varie entre 650 et 800 millions de mètres cubes par an, pour alimenter les deux centrales à cycle combiné. Evidemment, le Maroc n’exclut pas la possibilité d’introduire davantage de gaz naturel dans son bouquet énergétique s’il sécurise les approvisionnements.
« Avec l’éolien, le solaire, mais également avec les capacités hydroélectriques disponibles, nous ambitionnons que les énergies renouvelables représenteront 42% des capacités électriques installées à l’horizon 2020. »
LA : L’interconnexion électrique avec l’Europe est une réalité. Quid de l’Afrique ?
AB : Comme je vous le disais tantôt, le Maroc a une position géostratégique qui lui permet d’être un acteur dans la région, de par sa proximité avec l’Europe. Nous avons avec l’Espagne deux lignes à une capacité de 1400 MW. Une troisième ligne est en étude. Avec l’Algérie, l’interconnexion a été renforcée avec une troisième ligne, qui a permis de faire passer la capacité à 1400 MW à la fin 2009. Avec l’Afrique subsaharienne, nous envisageons de pousser plus loin la coopération, comme avec la Mauritanie, avec laquelle une interconnexion nous permettrait d’atteindre beaucoup de pays.
 
LA : Où en est le Maroc avec le marché du carbone ?
AB : Le Maroc a eu un rôle déterminant dans l’accélération des négociations du protocole de Kyoto. Les accords de Marrakech, en 2001, après la COP7, ont permis de sortir les négociations de l’impasse en faisant adopter des résolutions concrètes, dont le mécanisme de développement propre, principal outil du Protocole de Kyoto. Le Maroc a pris conscience de l’importance de ce mécanisme, non seulement comme moyen de résorption des émissions, mais aussi pour créer une dynamique de développement durable chère à SM Mohammed VI. Nous avons mis en place l’autorité nationale pour le développement du MDP. La première et la deuxième communication nationale ont permis d’identifier un important potentiel de réduction des émissions de CO2. Nous avons un portefeuille diversifié d’une soixantaine de projets MDP, à différents stades d’approbation, dont quatre ont été enregistrés au conseil exécutif du MDP, à la fin 2008, ce qui a permis au Maroc d’occuper une position avancée au niveau du continent africain. Tout cela va nous permettre d’éviter 7 millions de tonnes de CO2 par an.
 
LA : Au delà du MDP, il y a lieu de souligner les Hautes Instructions Royales de mettre le développement durable au cœur de toutes les stratégies et programmes du Royaume.
Pour en revenir à l’eau, y-t-il une stratégie à long terme pour le Maroc ?
AB : L’eau est une denrée rare ; de par sa position géographique et de par l’impact du changement climatique, le Maroc est très concerné par cette question. Ce secteur a fait l’objet de la mise en place d’une stratégie de l’eau, qui a été présentée à Sa Majesté. C’est une démarche de gestion intégrée qui repose sur deux piliers : la poursuite de la mobilisation de toutes les ressources de l’eau. En quelque sorte, un bouquet diversifié pour l’offre d’eau, par analogie au bouquet électrique ou énergétique. Ainsi, nous allons poursuivre notre politique qui a permis de construire 130 barrages, 18 milliards de mètres cubes d’eau. Nous projetons la construction de deux grands barrages par an, ainsi que de quinze à vingt petits barrages collinaires pour lutter contre les inondations. A côté de cela, nous allons développer les méthodes non conventionnelles, avec les programmes de dessalement. A l’horizon 2020, nous prévoyons de dessaler pour 400 millions de mètres cubes dans la région de Casablanca. Auparavant, il y a des projets dans les régions d’Agadir et de Boujdour. Il y a également les projets de transfert des eaux des bassins excédentaires aux bassins déficitaires, à l’horizon 2020 et 2030. Il y a aussi le retraitement des eaux usées et leur purification aux troisièmes degrés pour leur réutilisation dans l’arrosage. A côté de cette politique de mobilisation de l’offre sous ses formes conventionnelles et non conventionnelles, il y aura le programme de gestion efficiente de la demande, qui rappelle l’efficacité énergétique. Plusieurs actions sont envisagées pour limiter les pertes d’eau. Actuellement, 87% des eaux mobilisées vont à l’agriculture et 50% de cette eau est perdue. Il y a un programme spécifique pour le développement de l’irrigation, avec la technique du goutte-à-goutte dans le Plan Maroc Vert. De manière globale, notre approche eau concerne aussi bien la gestion de l’offre que de la demande. 

Source : http://www.lesafriques.com